Ce pèlerinage emmenait 33 pèlerins des diocèses de Bordeaux, Dax et Périgueux.
La destination peut étonner, et j’ai eu fréquemment des remarques du genre » un pèlerinage à Cuba, vraiment? » Habituellement en effet cette démarche conduit vers un lieu d’apparition ou un sanctuaire dédié à la vénération d’un saint.
Pourtant, il existe une autre forme de pèlerinage, qui mène nos pas vers un pays et un peuple pour y découvrir l’empreinte du Christ. Une « visitation » auprès de nos frères chrétiens. Le pèlerin se dispose à recevoir ce qui est inconnu ou différent de son quotidien. Il le fait avec humilité pour accueillir ces différences comme des richesses, comprendre le chemin parfois douloureux ou violent de l’histoire de ce peuple et de l’émergence de l’église en son sein.
La préparation s’était faite en amont 18 mois avant le départ, après avoir pris contact avec une mission française (prêtres de la Communauté St Martin) installée à Placetas, diocèse de Santa Clara, en la personne de Don Jean Pichon qui en est le responsable et qui est originaire des environs de Bordeaux.
Ainsi, nous avons pu aménager avec lui le programme prévu par l’agence et organiser le circuit et les rencontres pour donner une dimension vraiment ecclésiale à notre démarche.
Et c’est à travers toute une série de rencontres avec des hommes et des femmes œuvrant dans la société cubaine au nom de l’Eglise que nous avons fait cette expérience.
Mais prenons le récit par son début.
Après un voyage d’une dizaine d’heures, nous atterrissons à La Havane, au nord-ouest de l’ile, où nous resterons 3 jours avant de continuer en car vers la pointe sud, jusqu’à Santiago (à 900kms de la capitale).
Nous logions en plein cœur de la vieille ville, dans un couvent des sœurs de Sainte Brigitte, accueil simple et agréable par le style colonial de la bâtisse à plusieurs patios. Un havre de paix.
La découverte à pied du centre nous découvre un cœur de ville bien construit, aux multiples églises témoignant de l’évangélisation apportée par les Espagnols, franciscains, jésuites ou dominicains, à partir du XVIe siècle.
Les rues sont animées – nous croisons des enfants ou des jeunes en uniformes se rendant à l’école – et bruyantes : les groupes de musique fleurissent partout dans les bars ou au coin des rues.
Attention aussi en traversant aux belles voitures américaines des années 50, rutilantes et colorées, dans lesquelles les touristes ont coutume de sillonner la ville et de longer le Malecón (bord de côte).
Cette visite pleine de charme s’accorde bien avec cette annonce d’ouverture du pays et de l’assouplissement du régime politique, dont le guide ne se prive pas d’énoncer tous les bienfaits.
La journée se termine par le passage (obligé) du musée de la Révolution. Beaucoup moins charmant. Le bâtiment de style soviétique enchaîne une multitude de salles tristes aux vitrines présentant l’histoire de l’épopée castriste sous forme de textes et photos illustrant tortures, combats, faits de guerre à la gloire de Fidel. Ennuyeux et sinistre. Nous n’arrêtons plus les commentaires enthousiastes de notre guide et pour nous le voile commence à se lever.
Les deux jours suivants, nous entamons les rencontres prévues par le Père Jean avec la visite de la crèche tenue par les sœurs de l’Amour de Dieu. A l’origine, la maison accueillait les enfants abandonnés; on voit encore dans le mur le tour où la maman déposait son enfant. Les sœurs, d’origine espagnole, répondent à un besoin des mamans qui cherchent un accueil pour leurs petits (et un repas de midi). Les structures publiques sont insuffisantes et sans cette solution, elles ne peuvent trouver de travail. L’ambiance est joyeuse et l’accueil par la sœur supérieure de 86 ans, toute vive et pétillante, très chaleureux.
Le lendemain, nous visitons une petite imprimerie travaillant pour l’église de Cuba. La structure est très modeste, les machines et les locaux vétustes. Le responsable nous explique qu’une vingtaine de personnes y travaillent pour produire les publications à destination de l’Eglise. Je sens son discours retenu en présence du guide; à la fin de la visite, nous lui achetons tout un lot de cartes de Noël; pendant que son personnel s’empresse de nous le préparer et emballer avec grand soin, il me remercie personnellement et me confie que sans ces petites structures d’édition, l’Eglise ne pourrait publier, les imprimeries d’état ne refusant jamais, mais ne livrant jamais non plus …
Une dernière rencontre avec deux membres de Point Cœur, association assurant par leur présence bénévole une mission de compassion auprès des personnes les plus souffrantes; à La Havane, elles accompagnent particulièrement les personnes âgées et souffrantes.
Enfin, après quelques visites incontournables comme la fabrique de cigares, nous quittons la capitale pour gagner Placetas, la mission où nous attend le Père Jean, dans le diocèse de Santa Clara situé au centre de L’île. Pendant la route, notre guide se charge de nous renseigner sur l’organisation exemplaire de la vie sociale, politique et économique du pays avec force commentaires sur l’aspect égalité-solidarité du système. Arrivés à Placetas, nous regardons avec étonnement l’aspect de cette ville de 45000 habitants en longeant les avenues bordées de constructions basses, vétustes, voire délabrées, traversées de « rues » sans goudron où les pluies tropicales creusent des ornières boueuses. Dès notre arrivée à la paroisse Saint Athanase, l’accueil est chaleureux : quelques jeunes nous saluent joyeusement et le père entouré des membres de la communauté nous reçoit pour une présentation avec montage vidéo de l’histoire et de la situation cubaine sur le plan social, économique et ecclésial (L’Eglise catholique à Cuba : 300 prêtres pour 11 millions de Cubains dont 50% sont des étrangers. 50% des membres des communautés chrétiennes d’aujourd’hui sont revenus à la pratique religieuse dans les 10 dernières années), et il développe sous nos yeux les projets et actions en cours auprès des 75 000 Cubains de leur paroisse.
L’intensité de la rencontre nous émeut, nous touche en profondeur, à la fois parce que nous commençons à entrevoir la réalité cubaine après des années de régime castriste et surtout par le courage et l’espérance de ces communautés chrétiennes : vie sacramentelle, célébrations, prière, initiatives et actions menées en tous domaines (éducation, enseignement, santé, activités jeunesse, crèches, maison de personnes âgées …), le tout face à des difficultés de terrain d’ordre matériel (le pays manque de tout et refuse de recevoir l’aide internationale), des oppositions larvées (le régime tolère à peine l’activité de l’Eglise), de quoi rester bouche bée et se donner un petit coup de fouet quant à nos propres initiatives …
La soirée amicale se poursuit avec le dîner préparé et servi par les volontaires de la mission à Placetas (Fidesco) et la messe avec la communauté paroissiale. Musique, chants, prière, un beau moment de communion.
Le lendemain, le Père Jean nous emmène rencontrer Mgr Arturo Gonzales Amador, évêque du diocèse de Santa Clara, pour un échange d’une bonne heure sur les joies et les difficultés de la mission. Il en ressort que, si la population est majoritairement baptisée, la pratique est réduite à sa simple expression. Pas de catéchisme, pas de sacrements, un penchant pour une religiosité syncrétiste afro-cubaine qui entraîne une dévotion très éloignée de la foi chrétienne. La cellule familiale est fragilisée par un manque de stabilité affective et des mœurs plutôt « libres » dans le domaine de la sexualité (à 14ans, une fille peut avoir déjà subi deux avortements, appelés « régulation mensuelle »). Si l’on ajoute la grande difficulté des familles pour simplement vivre au quotidien (salaire moyen de 17€/mois, en sachant qu’une famille de quatre personnes a besoin de 60€/mois pour vivre), on comprend l’immensité du défi à relever dans l’aide et l’évangélisation de la population.
De retour à Placetas, nouvelle rencontre avec la communauté St Martin au complet et l’équipe paroissiale au cours d’un déjeuner. Puis présentation sur les moyens concrets de fonctionnement de la paroisse, et un beau témoignage d’un jeune homme de 30 ans, nouvellement venu à la foi.
Nous n’oublions pas de déposer à la mission les multiples objets utiles amenés de France par les pèlerins (chaussures, papier, stylos, médicaments, lunettes, bougies d’autel …) et nous nous quittons l’après-midi, toujours en compagnie du Père Jean, qui continue de nous parler pendant le trajet, à côté de notre guide…
Nous rendons visite au Père Alban-Marie, prêtre français diocésain à Sancti Spiritus, qui nous présente son groupe de musique et sa pastorale, belle rencontre qui nous montre une autre façon de toucher les cœurs. Nous lui remettons 12kgs de … clous pour terminer la réfection du toit de l’église (suite aux dégâts causés par Irma)! Le père nous avait demandé d’amener de France ces pointes galvanisées introuvables à Cuba.
Après la soirée, la nuit et la matinée passées dans la jolie ville de Trinidad, le Père Jean nous quitte. Nous continuons la route et notre guide retrouve son micro! Nous écoutons alors son discours révisionniste tentant de nous faire oublier ce que nous venions d’entendre pendant ces 2 jours, à grand renfort de laborieuses envolées sur l’amour universel jaillissant du régime. En même temps à chaque entrée de village, sous nos yeux défilent les immenses panneaux de propagande…
Le voyage continue ainsi jusqu’à Santiago, long et fatiguant, les routes sont très mauvaises et dangereuses, surtout pour les voyageurs en carrioles à cheval ou tirées par un vélo, et pour les piétons sur le bord qui cherchent un moyen de transport, souvent un camion à bestiaux transformé en transport en commun. Leur quotidien est compliqué et accablant et nous comprenons mieux la frénésie exubérante de leur musique, exutoire et rêve d’un avenir meilleur.
En chemin, nous participons à la messe dominicale dans une église cubaine à Camagüey; le vicaire général et l’assemblée nous font bon accueil. Puis, arrivés enfin à Santiago, nous nous rendons en pèlerinage à Nuestra Señora de la Caridad del Cobre, sainte patronne de Cuba et sanctuaire marial chéri par tous les Cubains; ils viennent lui confier leurs problèmes et leurs aspirations. Cependant, peu de monde ce jour-là en raison de la commémoration du premier anniversaire de la mort de Fidel; nous sommes un peu déçus; avant la messe, le recteur nous salue timidement.
En repartant, le guide nous raconte l’histoire et la légende des apparitions … connaissances toutes récentes pour lui et venant d’une connexion internet prise sur l’instant!
Après quelques déconvenues d’ordre matériel (retard de 5h du vol intérieur, accueils dans les hébergements plus qu’incertains voire inhospitaliers parfois), le jour de notre retour approche et dans notre esprit et notre cœur les réflexions se bousculent.
Ce que nous avons entrevu, bien loin de ce que nous pouvions imaginer avant notre départ, nous laisse un goût un peu amer face à l’immense défi à relever pour que développement et liberté pointent à l’horizon de ce pays.
Mais ce qui domine, ce qui habite notre cœur, c’est la joie des rencontres avec nos frères en Christ et de leurs témoignages de courage et d’espérance au service de leur prochain.
Un beau pèlerinage …
Marie-Agnès Delgorgue